Lettre ouverte aux franc-maçons d’un Frère de la Société Fraternelle Les Amis de l’Égalité
MTCF, MTCS,
L’histoire nous regarde. Elle nous regarde avec l’acuité des générations futures, elles qui jugeront cette période politique comme l’une des plus décisives pour la sauvegarde de notre République. Sans sombrer dans un déclinisme abscons et démobilisateur, soyons en effet conscients que notre contrat social risque d’être déchiré à tout instant par des identitaires des deux rives. À l’extrême droite d’abord, par l’intermédiaire d’un candidat putatif qui n’hésite pas à déverser sa haine toute maurassienne sur l’universalisme républicain que ses soutiens pétainistes combattent depuis toujours. À l’extrême gauche ensuite, par des indigénistes et leurs compagnons de route, trop contents d’assaillir une laïcité qui les empêche de concrétiser leurs projets communautaristes.
En ces temps troublés, il faut savoir reconnaître et nommer ses adversaires. Il faut aussi tendre la main à celles et ceux que nous jugeons capables de tenir la barre. Sur l’échiquier politique, ils sont peu, il est vrai. Encore moins à gauche. Mais il en est un qui émerge depuis quelques mois et pour lequel je requiers toute votre attention.
Fabien Roussel est secrétaire national du Parti Communiste Français (PCF), député du Nord et candidat à l’élection présidentielle. Reconnaissons d’emblée que ce n’est pas une mince affaire d’être communiste au XXI siècle. La charge historique est robuste, parfois difficile à porter. Parlez-en autour de vous et vous le verrez : pour les uns, le communisme, c’est Staline, le goulag et son cortège de morts. Pour les autres, c’est le Front Populaire, la résistance, le CNR, la sécurité sociale, le programme commun, le statut de la fonction publique et Georges Marchais. Fabien Roussel est incontestablement le continuateur de cette seconde histoire, comme l’est du reste le parti communiste aujourd’hui. Il y a bien longtemps que les comptes avec les atrocités staliniennes ont été soldés. Le nouveau secrétaire national l’a encore rappelé tout récemment dans son ouvrage1 : le PCF est fondamentalement un parti humaniste, républicain et laïque. Les élus communistes, qu’ils se trouvent au Parlement ou dans les municipalités, en font la démonstration quotidiennement.
Il suffit pour s’en convaincre un peu plus de voir comment Fabien Roussel s’est fait connaître pour sa défense radicale de la République, s’attirant quelques fois les foudres de militants d’extrême-gauche échaudés par le verbe haut employé par le natif de Béthune. Ce fut le cas au moment où le député communiste s’est emparé du thème de la laïcité, idéal républicain consubstantiel à l’idéal maçonnique.
Qu’a-t-il dit ?
- Que la gauche doit revendiquer la laïcité, sans jamais l’adjectiver.
- Que le terrorisme islamiste doit être désigné et combattu pour ce qu’il est, sans faux semblant.
- Qu’il faut plus que jamais défendre l’universalisme républicain, principe indispensable à la réalisation d’un projet politique fraternel, le seul capable de nous mettre à bonne distance des théories identitaires et des velléités communautaristes.
- Qu’il se veut l’héritier de Jean Jaurès lorsque ce dernier affirmait que « La République doit être laïque et sociale, mais restera laïque parce qu’elle aura su être sociale. » En d’autres termes, si la laïcité garantit la liberté de conscience et l’égalité en droit, elle ne pourra pas être un vecteur d’émancipation tant qu’elle ne sera pas accompagnée par des politiques sociales capables de briser les chaînes du déterminisme. C’est pourquoi Fabien Roussel estime que l’école publique est la clé de voute de l’émancipation du plus grand nombre et que la République doit reprendre la main partout dans les lieux où l’État a disparu, sous prétexte d’austérité budgétaire et de cynisme politique.
N’est-ce pas là un discours compatible en tous points avec ce qui est au cœur de la pensée maçonnique ? La démonstration vaut pour d’autres sujets politiques qui ne seront pas développés ici. Ce modeste texte entend simplement montrer qu’avec les prises de position qui sont les siennes, Fabien Roussel n’est pas l’épigone de l’orthodoxie soviétique, mais bel et bien l’enfant de la Révolution française et de la philosophie des lumières.
Reste alors la célèbre 22e condition, officieusement imposée par Trotski durant le congrès de Tours, en 1920,date de la scission de la SFIO et de la création du PCF, avant d’être officiellement proclamée en 1922 au moment du quatrième congrès de l’Internationale. Dans un travail remarquable2, notre frère Denis Lefebvre a retracé cette histoire tumultueuse pour les frères communistes qui ont dû choisir entre leur loge et le parti. Il y pose la question de l’antagonisme entre deux idéaux qui ont autrefois emprunté une route commune. Près de cent ans après l’analyse développée par Trotski sur l’incompatibilité entre l’engagement communiste et l’appartenance maçonnique, doit-on considérer que celle-ci est encore pertinente au regard des bouleversements historiques et politiques qui ont eu lieu en France ? Quelles sont les valeurs partagées par le communisme du XXI siècle et la franc-maçonnerie ?
Peut-on être aujourd’hui franc- maçon et communiste ?
Pour Fabien Roussel, la réponse est oui, comme en témoigne, entre autres, sa prochaine participation (enthousiaste) à une tenue blanche fermée. C’est aussi le cas pour beaucoup de frères et sœurs qui, sans être adhérents au PCF, voient une complémentarité dans ces deux engagements philosophiques et politiques.
Sans doute retrouvent-ils dans les propositions de Fabien Roussel ce qui constitue la sève du socialisme français, lequel a toujours fait route commune avec notre histoire républicaine. Sans doute ont-ils compris que le PCF est aujourd’hui l’un des plus grands défenseurs la concorde nationale et qu’il convient, au vu de la gravité de la situation politique, de considérer les communistes français pour ceux qu’ils sont et non pas pour ce que certains ont pu faire de pire dans des contrées de l’Est, il y a maintenant des dizaines et des dizaines d’années.
MTCS, MTCF, regardez autour de vous et demandez-vous, avec raison, qui défend cette République sociale si chère au cœur de bon nombre d’entre nous. Ils ne sont pas nombreux ceux qui comme Aragon, croient au soleil quand tombe l’eau. Comptez les communistes français parmi ceux-là.
Thomas Collet
pour Les Amis de l’Egalité
2 Denis Lefebvre, Communisme et franc-maçonnerie ou la 22e condition… Conform edition, coll Pollen n°21, Paris, 2020